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19 octobre 2006 4 19 /10 /octobre /2006 22:41
Voilà un papier publié sur le webzine "SUR LE RING", lors des sympathiques parades estudiantines anti-CPE de ces derniers mois :

Le lien ici.



Homo-manifestus, animal triste


Par curiosité je suis monté à Paris le mercredi 29 mars au petit matin, au lendemain de la grande manifestation anti-CPE qui a rassemblé dans la France entière pas moins de trois millions de manifestants ( selon les syndicats ), et j'eus la surprise de constater que la Seine coulait toujours dans le même sens... Ma déception fut grande après toutes les récentes promesses syndicales et médiatiques de révolution sociale et culturelle, contre le CPE, et même contre le libéralisme mondialisé ; imaginez un peu : je m'étais levé tôt, je venais de ma banlieue tristounette en transports en commun, je comptais bien voir les stigmates d'un changement de civilisation. Mais la Seine coulait toujours dans le même sens...






Je croise d'abord un agent de la police municipale, bonhomme et souriant, qui me renseigne : « Ah, je ne sais pas Monsieur Ajavon, j'étais en congé hier, mais je crois que c'était la gay-pride, la Fête de la musique, ou les 24H du Mans, une manifestation festive dans ce genre-là avec des jeunes-gens avenants et peinturlurés, des tifosis sous tension, la presse, des cabanes à frites et tout le toutime... en tout cas les copains de la voirie ont ramassé toute la nuit des bris de verre et des préservatifs... » Il m'expliqua encore longuement les dégâts qu'il avait constaté dans les rues de Paris dont il était en charge de la surveillance, mais je crus préférable d'abréger l'entretien avec un proposé, certes affable et sympathique, mais qui n'en savait pas lourd sur la question. Je poursuivis alors mon enquête le long des rues concernées par la manifestation du 28 mars, et rapidement mon opinion fut faite. Après deux bonnes heures d'errance dans l'aube délicate et haussemannienne, après bon nombre de rencontres avec les habitués des lieux, cafetiers, kiosquiers, riverains, poulets, boueux, et autres pique-assiettes qui sillonnent courageusement Paris sans y habiter, mon opinion fut faite. La Seine coulait toujours dans le même sens car la manifestation d'hier, comme toutes les manifs anti-CPE depuis le début du mouvement, ne tendait pas à la Révolution mais à la construction d'une mythologie vendue en kit, d'une mythologie prêt-à-porter, d'une mythologie archéo-fantasmatique de Mai 68. Une illusion lyrique en somme...


Alors c'était donc cela ces mouvements de foules dans mon poste de télévision hier soir ? C'est en marge d'une « illusion lyrique » que les casseurs habituels et autres « bolosseurs » banlieusards de petits blancs privilégiés se sont distingués hier ? J'arrivais à la place de la République sous un soleil timide qui tigrait le macadam de raies lumineuses. Une jeune et jolie militante rousse d'un syndicat étudiant proche du PS, un peu à la dérive, que j'avais ramassé en chemin, me dit sévèrement : « Pas d'amalgame s'il te plait, la jeunesse est non-violente et cherche simplement à se faire entendre... ».  Il lui fut difficile de m'expliquer en quoi elle cherchait à se faire entendre, cette jeunesse fantasmée, et auprès de qui. Par contre cette jeune-fille savait très bien qui était la jeunesse, la « vraie » jeunesse à ses yeux  : c'était elle, sa s½ur, ses amies du 15ème arrondissement, ses potes d'amphi à la Sorbonne et les copains du syndicat, au-delà c'était l'inconnu et passé la zone 1 du métro...la barbarie... Elle était très remontée contre les jeunes sous-prolétaires de banlieue qui lui avaient volé son sac à main, son Ipod et son téléphone portable hier en fin de manifestation. Ils lui avaient même volé les clés de son appartement et elle avait peur de rentrer chez elle, c'est pour cela qu'elle avait erré dans les rues toute la nuit. Il me parut normal, après un petit verre de calva et quelques promesses, de l'abandonner au sort de ses choix politiques...


 





En revenant sur mes pas, je m'adonnai doucement à la méditation. Trois millions de manifestants de gauche en goguette dans le centre-ville de Paris et des capitales régionales françaises, une majorité d'étudiants encartés dans des mouvements politiques proches des socialistes ou des communistes, des lycéens motivés et turbulents qui ne manqueraient pour rien au monde une occasion d'exprimer leur joyeux goût du désordre, et mon tout accompagné par des éléments syndiqués de la fonction publique. Plus, j'allais l'oublier, ma chère petite militante qui a été confrontée si durement à la réalité de la fracture sociale et urbaine... Je comptais sur mes doigts, gravement... le compte n'était pas bon. Contrairement à ce que les médias annonçaient, toute la France n'était pas dans la rue, mais seulement une petite minorité d'activistes engagés dans toute une série de luttes politiques, incluant le CPE mais le dépassant largement. Les slogans des banderoles d'hier visaient le capitalisme, le libéralisme, l'ordre, le gouvernement Villepin, le réalisme politique, et pourquoi pas le scandale des paysans sans terre au Brésil, les méchantes multinationales du médicament qui laissent mourir du Sida les gentils enfants africains, les règles du jeu de l'OMC et tout un fatras alter-mondialiste hétéroclite du même tonneau


La France qui était dans la rue hier, donc, n'est pas toute la France. C'est une certaine France, engagée, organisée, prompte à la manifestation, avide de luttes syndicales et politiques, qui serait prête à tout pour renverser un gouvernement pourvu qu'il soit de droite, au risque - en l'espèce - de ne pas voir la forêt que cache l'arbre-CPE : c'est à dire l'ensemble de la loi sur l'égalité des chances. Cette France vindicative, souvent très jeune et dynamique, se cherche surtout des valeurs mythologiques personnelles dans les ruines de celles de leurs parents. Voici une jeunesse qui ne se construit pas sa mythologie contre mais avec les mythes de papa-maman, et avec leur consentement amusé. Cette France c'est celle de l'homo-manifestus, animal triste ; la France des nouveaux anti-modernes, ennemis du changement.


Philippe Muray, récemment décédé, avait fustigé maintes fois le bobo moderne comme étant un homo festivus... ne vivant que par la fête, la manif, le divertissement, la subversion de vespasienne et toute une morale de la solidarité pompée dans Astrapi ; n'ayant comme carburant spirituel que l'obsession de la sécurité sociale et l'ambition du plaisir individuel. Ainsi, l'homo festivus de Muray, le « mutin de Panurge » aime les 35H car cela lui permet de faire du roller le vendredi soir dans les quartiers chics de Paris, l'homo festivus - archétype de l'héritier à la Bourdieu - aime Paris-Plage et la Fête de la musique, il aime la vie, le sexe et le bonheur en général. Mais la vérité est imparable : la vie humaine, quoi que l'on tente, est une course tragique contre la mort et l'homme festif se ment à lui-même sur le sens de sa vie. La plupart des lycéens et des jeunes étudiants mobilisés contre le CPE sont de ces homo-festivus homo-manifestus du "peuple de gauche", souvent issus de classes sociales privilégiées, qui attendent que la société fasse leur bonheur... il faudrait les prévenir d'urgence : ils iront de désillusion en désillusion, jusqu'à mourir en se disant qu'ils ont été floués. Cette France-là se fiche pas mal du CPE en réalité : elle court naïvement après des idées libertaires agonisantes qui ont été disqualifiées depuis longtemps par le réel, qui a toujours le dernier mot.


Après deux bonnes heures de flânerie dans les rues de la capitale, et fixé provisoirement sur le sens de ce mouvement festif de jeunes tifosis en manque de mythes, courant après le « Mai 68 » ressassé chaque semaine par leur papa autour du gigot dominical, je me décidai à quitter la capitale pour regagner mes pénates. J'en avais assez vu et pour ma part je n'avais pas envie de me forcer à être heureux : le ciel était déjà gris et la Seine coulait toujours dans le même sens. Rive droite, rive gauche. Je traversais le Pont Mirabeau pour récupérer les transports en commun. J'aperçus alors ma jeune militante, un peu paumée : elle me suivait à distance avec de grands yeux éplorés. Finissons-en, me dis-je : je lui donne de quoi se payer un ticket de métro pour rentrer chez elle et lui conseille de s'occuper davantage de son avenir et moins de celui de sa génération, qui n'en est pas une. Mais elle fondit en larmes sur mon épaule. Homo-festivus, animal triste...

Fxa.

 
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commentaires

C
HAHA! j'ai commencé la lecture de ton blog, canarade FX!!!Pour commencer, toutes mes salutes, ça fait longtemps...<br /> Bon, mon commentaire.<br /> Il fait trés TF1 ton article! Directement de la parole du "vrai gens de la rue" aux grandes conclusions; le soupçon de la caricature à la bebette show guette aussi...<br /> L'auto-fiction fait trés bobo de gauche, justement.<br /> Bien sûr, je te suis sur les masses de petits bourges en quête d'identité qui étaient là pour l'ambiance plus que pour l'engagement. (Plus les habitués que tu cites). Mais, ils n'étaient pas seuls, loin de là. Mais surtout - je contourne les détails- ta conclusion m'attriste. Qu'elle s'occupe autant de sa génération que d'elle même la petite demoiselle... Y'en a marre de marcher seul dans les rues surpeuplées de Paris...<br /> article suivant...;-)
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